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A Batz-sur-mer, des grains de sel dans les digues
Article de journal

Sur 32 km de long, le système d’endiguement des Marais salants de Guérande protège l’activité salicole et les habitations riveraines. La communauté de communes Cap Atlantique, qui l’a repris en gestion, doit jongler avec les contraintes pour réussir à le consolider.
«Regardez ces fissures, l'un des pieds de l'ouvrage manque de s'écrouler", témoignait un des habitants du lotissement de la Herpe en septembre 2024, en montrant des photos du barrage de Bérigo. A Batz-sur-mer, la Herpe est l’un des quartiers les plus exposés au risque de submersion marine, comme l’a montré la tempête Xynthia, qui avait inondé une vingtaine de maisons. «Barrage », le mot ici ne désigne pas un barrage au sens réglementaire, mais un des ouvrages hydrauliques typiques des marais salants, servant à réguler les arrivées d’eau de mer, dans un secteur situé près des habitations. Ces ouvrages anciens ainsi que les canaux endigués des marais, les étiers, étaient pendant des années gérés par une Association syndicale (ASA) autorisée, regroupant des propriétaires de marais salants, mais depuis 2024 ils ont été repris en gestion par l’intercommunalité Cap Atlantique, en accord avec l’ASA.
Barrage de Bérigo (crédit : Cap Atlantique)
C’est donc elle qui a la charge de rénover les barrages et les digues, dans le cadre de sa compétence GEMAPI. Le défi n’est pas si simple, car il faut non seulement concilier les enjeux résidentiels et économiques, dont la collecte du précieux sel par les paludiers, mais aussi respecter des contraintes locales spécifiques : sur l’argile, sur les accès aux chantiers, la zone Natura 2000 et la météo capricieuse.
« De tous les barrages du marais c’est celui qui est dans le pire état. Il menace de ruine. » Fabrice Durieux, directeur de la Transition écologique et des Agricultures à Cap Atlantique, à propos du barrage de Bérigo. Ouest France, septembre 2024.
Secteur prioritaire
A la Herpe et autour du barrage de Bérigo, le risque de submersion est pris très au sérieux. « C’est pour nous un secteur prioritaire, car il y a à la fois le plus d’enjeux bâtis, des enjeux économiques et un barrage en très mauvais état », explique Philippine Renard, responsable du service Prévention des Risques Littoraux à la communauté de communes. Des travaux de confortement ont débuté le 22 septembre avec la pose de palplanches, faisant suite à des travaux préparatifs au printemps 2025. L’actuel chantier concerne le barrage et les 600 mètres de digues voisines. Dans une seconde phase, l’intercommunalité prévoit de reprendre d’autres tronçons, sur les 32 km de linéaire. « Le système d’endiguement, pour faire simple, est un système fermé, un peu comme un casier hydraulique », explique Thomas Garino, technicien au service Prévention des Risques Littoraux.
Système d’endiguement
Officiellement, le système d’endiguement s’appelle le système « des marais salants du bassin de Guérande alimentés par les traicts du Croisic, sur les communes de Batz-sur-Mer, La Turballe et Guérande » (1). Ses caractéristiques sont détaillées dans l’arrêté préfectoral qui l’a classé et autorisé le 28 juin 2024. Le linéaire est constitué de « 12,4 km de digues maritimes situées sur le trait de côte, 14,6 km de digues d’étier situées le long des étiers et exposées au niveau marin et 4,6 km de digues secondaires exposées uniquement en cas d’évènement dépassant le niveau de protection »,. Il est aussi constitué de « 13 ouvrages dont 9 équipés de vannes fermant des étiers et de 168 ouvrages traversants ». Sa zone protégée, de 17 km2, est à la mesure de ce vaste linéaire, pour une population protégée estimée à 535 personnes (d’après l’arrêté préfectoral). Le système d’endiguement est très hétérogène et par endroits en mauvais état, explique l’intercommunalité, qui s’appuie sur des diagnostics et des premiers sondages géotechniques conduits après Xynthia.
Aménagement des accès aux ouvrages (mai 2025, crédit Cap Atlantique)
Début des travaux
« On est au tout début des travaux », explique Thomas Garino début octobre. Sur le barrage, un rideau de palplanches de 4 mètres de profondeur associé à une poutre de couronnement était en cours d’installation. Les ouvrage hydrauliques associés doivent aussi être rénovés, avec des trappes nouvelles pour garantir la circulation de l’eau dans les deux sens, à chaque marée et en période de pluies, puisque le barrage sert aussi d’exutoire aux eaux pluviales. La suite du programme de travaux vise à rehausser la digue voisine sur quelques 600 mètres, notamment en apportant de l’argile. La crète de digue rénovée est prévue à 4,1 mètres NGF avant affaissement, pour un niveau de protection de 3,20 mètres qui reste inchangé par rapport au niveau réglementé.
« Avec la tempête Céline, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas d’accès pour réparer le mur maçonné ». Yann Henry, président de l’Association syndicale autorisée (Asa), regroupant 450 propriétaires de marais salants (Ouest France, 30 août 2024)
Argile humide
Le chantier est délicat d’abord en raison de l’argile, indispensable pour renforcer les digues en terre et pour sécuriser les accès aux ouvrages par des terrassements. « Trouver l’argile, c’est le nerf de la guerre », explique la responsable du service Prévention des Risques Littoraux. L’intercommunalité explique qu’elle ne peut pas effectuer d’apport de matériau extérieur pour des questions de qualité du sel. Il lui faut donc mobiliser de l’argile présente sur le secteur des marais salants, en particulier sur les talus. Des inventaires préalables ont été effectués afin de trouver les 8000 m3 nécessaires au premier chantier. Il a aussi fallu définir des voies de transport, ce qui n’était pas évident dans ce milieu de vasières classé Natura 2000 et composé de bassins de sel. Autre élément critique, il s’agit de garantir le bon taux d’humidité de l’argile avant son compactage : entre 29% et 32% idéalement et jusqu’à 28/34%, afin d’avoir 98% de l’optimum proctor, d’après l’intercommunalité.
Première phase des travaux, mai 2025 (crédit : Cap Atlantique)
Période restreinte pour intervenir
Une autre difficulté tient aux contraintes sur les calendriers des travaux. « La seule fenêtre de tir pour intervenir, c’est en automne hiver, en dehors des périodes de récolte du sel et de nidification des oiseaux, le secteur étant classé Natura 2000 », explique Philippine Renard. Autrement dit, l’intercommunalité ne peut pas intervenir entre le 15 mars et début septembre. Elle est aussi tributaire de la météo et surtout de la pluie, qui augmente le taux d’humidité de l’argile. Un premier calendrier de travaux, en septembre 2024, a d’ailleurs dû être annulé à cause des précipitations estivales, qui avaient gonflé le taux d’humidité du précieux matériau…
Ces difficultés ont conduit l’équipe en charge des risques littoraux à s’adapter. Elle s’est tournée vers le laboratoire d’analyse de la qualité de l’eau interne à l’agglo, afin de pouvoir disposer rapidement d’analyses de la teneur en eau des argiles. Elle a aussi obtenu au printemps 2025 une autorisation préfectorale exceptionnelle pour réaliser et conforter les accès permettant d’accéder aux digues et au barrage. « 2000 m3 d’argile ont pu être apportés pour créer l’accès dans la vasière au niveau du barrage et des digues », explique Thomas Garino. Un protocole avait été défini au préalable, avec l’aide d’un écologue. Par contre pour la suite du chantier, il a fallu attendre l’automne, afin de ne pas perturber la collecte du sel, du fait de la poussière liée au passage des engins et de la vidange des vasières.
Etude plus large
Ce premier chantier n’est qu’un début. Plus globalement, « à l’échelle du système d’endiguement, nous allons lancer une étude sur le devenir des marais face au changement climatique », explique la responsable du service Prévention des Risques Littoraux. Cette étude prospective permettra de disposer de plusieurs scénarios pour l’adaptation sur le long terme du système d’endiguemen. Parallèlement, Cap Atlantique prévoit d’élaborer un nouveau programme PAPI (programme d’actions de prévention des inondation), pour définir la stratégie de gestion des risques avec les acteurs locaux pour les 6 prochaines années. Le PAPI permettra aussi d’obtenir le co-financement de l’Etat sur les éventuels travaux à réaliser.
L’actuel chantier, si tout se passe bien, devait durer 6 à 8 semaines, mais son planning restait tributaire à la mi octobre, de l’humidité de l’argile, de la disponibilité des entreprises de travaux et des éventuelles surprises dans le sous-sol servant de fondation aux digues… Pour toutes ces raisons, l’équipe en charge du chantier restait prudente. Quant aux paludiers, « ils voient l’utilité des travaux, même si la priorité pour eux reste leur activité », remarque Philippine Renard.
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Note : Le terme traict désigne la « vaste baie sablo-vaseuse de plusieurs centaines d’hectares », qui sert de lien entre les marais salants de Guérande et l’océan (source : site web de la commune du Croisic).
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