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Essais géotechniques : HET passe à la norme

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illustration Essais géotechniques : HET passe à la norme

Pour les digues en terre, une des principales causes de brèche en situation de crue provient des érosions internes dites « de conduit ». Grâce à l’essai d’érosion HET développé par l’INRAE, il est possible de mieux prévoir ce risque d’érosion. Le test vient d’être normalisé, ce qui renforcera son utilisation.

Avec quelques 2000 utilisations à ce jour en France, l’essai d’érosion de conduit (HET, pour « hole erosion test ») est un outil reconnu qui permet aux gestionnaires de digues d’évaluer les risques d’érosion interne pesant sur leurs ouvrages de protection en terre (de type remblais). « L’érosion par conduit a d’abord été étudiée en Australie. Ensuite, la France a approfondi le travail, avec en particulier la modélisation que nous avons développée à l’INRAE [ex Irstea] » explique Stéphane Bonelli, directeur de recherche et expert digues et barrages au sein de l’unité Recover de l’INRAE. Cette modélisation a conduit au développement d’un dispositif d’essai d’érosion, associé à un logiciel de calcul proposé sous licence depuis 2010, aux bureaux d’étude. En novembre 2023, cet essai a été normalisé suite aux efforts de l’INRAE et de la Commission de Normalisation Terrassement de l’AFNOR. La normalisation ne modifie pas le procédé de l’essai en lui-même, mais elle apporte une garantie additionnelle de qualité, expliquent Stéphane Bonelli et Nadia Benahmed, chercheuse en géomécanique  à l’unité de recherche Recover (INRAE).

Diversité des érosions
En situation de crue, l’érosion d’une digue est le scénario que les gestionnaires d’ouvrage cherchent à éviter, car elle peut entraîner une brèche et une inondation de la zone protégée. Multiples sont les modalités d’érosion, mais les ingénieurs les regroupent en deux grandes catégories : érosions internes et externes. « L’érosion interne désigne toute érosion qui a lieu à l’intérieur de l’ouvrage, dans son corps ou sa fondation, alors que l’érosion externe survient sur une partie externe de l’ouvrage », explique Nadia Benahmed. Les érosions internes peuvent se produire sous quatre formes : érosion par conduit (appelée aussi érosion de trou, « hole erosion »), érosion par suffusion, érosion de contact et érosion régressive. Or sur les digues en terre des cours d’eau et des canaux, « presque la moitié des inondations sont liées à des ruptures créées par des érosions de conduit», précise Stéphane Bonelli (1).

 

4 types d’érosion interne (source : INRAE)

 

Causes du conduit interne
Ce type d’érosion interne n’arrive pas par magie, il lui faut au préalable un trou, qui ensuite entraînera l’apparition d’un « conduit ». Plusieurs causes initiales ont été documentées : défaut de construction, fissure, action d’un animal fouisseur (trou puis galerie de blaireau notamment) et présence d’une racine arbustive. Parmi ces causes, les gestionnaires font particulièrement attention aux conduits liés aux animaux fouisseurs. Sur le territoire rhodanien du syndicat Symadrem, par exemple, 80% des érosions de conduit seraient occasionnées par des terriers… Pour autant, tous ces trous ou conduits ne mènent pas à une érosion fatale. « Si le sol est suffisamment cohésif, s’il a été suffisamment compacté avant la construction du remblai, il peut résister à la brêche malgré la présence d’un conduit», explique Nadia Benahmed.

 

 

Exemples de brèches créées par une érosion interne (crédit : INRAE)

 

L’utilité de l’essai HET en justification
L’érosion interne par conduit est donc l’une des causes de brèche les plus fréquentes pour les digues fluviales en terre. D’où l’intérêt d’avoir à disposition un essai permettant de quantifier la résistance à ce type d’érosion de l’ouvrage. Cette quantification permet aux bureaux d’étude de justifier de la sûreté de l’ouvrage (existant ou à construire), dans le cadre des études de dangers (EDD) réglementaires sur les digues. « Pour les calculs liés aux scénarii de rupture, il faut des données en entrée. Or ces données, ce sont notamment celles que l’essai HET permet d’obtenir », explique Stéphane Bonelli.

Deux paramètres clé
Deux paramètres contextuels clé gouvernent la survenue d’une érosion de conduit. Le premier est la contrainte hydraulique, ou contrainte critique du sol, qui caractérise le seuil, en pascals, à partir duquel l’érosion est initiée dans le conduit. Le second est le coefficient d’érosion du sol en kg/sec/m2. « Le premier paramètre nous dit s’il y a érosion, et le second à quelle vitesse », résume le chercheur. La notion de vitesse est capitale, car elle indique si l’érosion peut arriver en quelques heures, ou en quelques jours.

 

Les deux paramètres de l’érosion de conduit. Source : INRAE

 

Outre les études de justification de sûreté, l’essai HET a d’autres utilités possibles : il permet de classer les sols d’un linéaire de digues en tronçons caractérisés par un risque de rupture associé à une vitesse de rupture, ce qui peut être utile pour prioriser des interventions. L’essai HET peut aussi permettre de démontrer qu’il n’y a pas de risque d’érosion interne (par conduit) sur un ouvrage précis. Ce type d’usage serait particulièrement adapté aux nouveaux ouvrages. « L’essai peut justifier l’utilisation d’un type de sol (plus cohésif), et d’un compactage de sol avant construction, s’il a montré que le sol compacté réduit le risque d’érosion par conduit », explique Stéphane Bonelli. Dans cette veine, il pourrait aussi justifier des traitements de remédiation de digues en terre à la chaux. « Certains de nos travaux sur la remédiation montrent qu’un traitement à la chaux sur une digue en terre peut renforcer fortement sa résistance à l’érosion interne. Cette résistance peut être objectivée par l’essai HET » ajoute Nadia Benahmed.

Enfin, l’essai HET peut également aider à comprendre, suite à une brèche réelle, les causalités qui ont pu l’entraîner. C’est ce qu’a par exemple cherché à savoir le Symadrem, sur une brèche intervenue lors de la fameuse crue du Rhône en 1993…

 

Dispositif d’essai HET (d’après S. Youssef 2023, INRAE)

 

Essai HET en détails
Sur les quelques 2000 essais géotechniques d’érosion de conduit réalisés en France, certains sont réalisés à l’INRAE pour les besoins de la recherche, mais la grande majorité est effectuée en conditions commerciales, par les bureaux d’étude (Sol Solution et GeophyConsult) ayant acquis la licence d’utilisation. Tous sont effectués en laboratoire, à partir d’un échantillon de terre prélevé par carottage sur le site de la digue, ou par prélèvement à la pelle, dans le cas d’un projet de digue.

Suivant les caractéristiques du sol, l’essai HET pourra être réalisé sur l’éprouvette reconstituée en laboratoire ou bien sur l’éprouvette intacte, lorsque les conditions d’échantillonnage in-situ le permettent. La réalisation de l’essai lui-même est rapide. La première étape consiste à créer un trou longitudinal de 6 mm au centre de l’éprouvette de sol, à le soumettre à un écoulement et à mesurer la matière érodée. « En fonction des propriétés du sol (degré de compactage, teneur en argile, forme des particules, etc), en une heure et parfois beaucoup moins, on voit s’il y a une érosion. Une demi-journée au total suffit, sans compter la préparation éventuelle du sol testé, qui peut prendre 48 heures pour des considérations d’homogéneisation », explique Nadia Benahmed. La deuxième étape de l’essai est la partie modélisation, qui consiste à calculer les deux paramètres clé. Cette partie est réalisée grâce au logiciel informatique développé par l’INRAE.

 

Norme AFNOR XP P94-065

Publiée en novembre 2023, la nouvelle norme XP P94-065 ne modifie pas les modalités de l’essai HET, mais « elle lui apporte un gage de qualité supplémentaire », explique Nadia Benahmed.  Elle est aussi un document de référence en cas de litige. Cette norme est intitulée « Sols : reconnaissance et essais - Hole Erosion Test - Principe et méthode d'essai en laboratoire pour la détermination des caractéristiques de résistance à l'érosion de conduit ». Condensée sur 32 pages, elle vient complèter le travail d’encadrement technique parallèle que réalise le Comité français des barrages et réservoirs (CFBR).

 

Source : GeophyConsult

 

« Dans notre communauté [au CFBR], nous produisons des recommandations, qui constituent des textes de référence », explique Stéphane Bonelli. En 2024, le CFBR finalise une nouvelle recommandation sur les études de justification des digues et barrages. La norme et ce nouveau texte constituent des documents de référence complémentaires, pour les gestionnaires d’ouvrages et les bureaux d’étude. Ils seront complétés par un troisième document, le « Fascicule de Documentation (FD) AFNOR expliquant comment prescrire/commander un essai HET et un essai JET ».

Tout ce travail devrait donc augmenter la légitimité de l’essai HET. Il servira également aux maîtres d’ouvrages du canal Seine Nord Europe, dans la mesure où une partie des berges et digues seront en terre. En outre, l’essai normalisé pourrait permettre de « faire progresser la profession sur les techniques de compactage », anticipe Stéphane Bonelli.

Et comme les formes d’érosion sont plurielles, le travail ne s’arrête pas là. La commission Terrassement de l’AFNOR prépare une norme pour un autre essai géotechnique, le « Jet erosion test ». Erosion externe, cette fois-ci et prononcer « Jet », pour estimer la résistance à la surverse. La publication est attendue pour 2025.

 

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(1)  Les érosions par conduit interne ont longtemps été appelées « renard hydraulique ». Ce terme a toutefois été abandonné, en raison de son manque de précision, explique Stéphane Bonelli .

 

Contributeur

thibault lescuyer

Structure

test asso

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