Actualités

Les drones s’invitent au plus près des digues

Publication


illustration Les drones s’invitent au plus près des digues

Photo : "Prise en main du drone lors de la formation par l'Entente Valabre" (Crédit SMA)

De plus en plus utilisés par les acteurs de la sécurité civile, les drones et leurs capteurs embarqués séduisent aussi les gestionnaires de digues. A la clef, ils y trouvent une acquisition de données à moindre coût et une captation de vidéos utiles pour communiquer auprès du public, sur les travaux de protection contre les inondations.

 

En mars 2018, trois agents du syndicat mixte de l’Argens (SMA) ont participé à une formation de pilotage des drones, organisée par l’entente Valabre sur la base de sécurité civile de Nîmes-Garons. Ils étaient les seuls civils au sein d’un groupe constitué de sapeurs-pompiers des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Dans la foulée, le syndicat a fait l’acquisition de deux drones : un « Splash drone 3 » étanche et un « Phantom 4 pro », à plus longue portée. « Notre syndicat mixte porte un Programme d’Actions de Prévention contre les Inondations (PAPI) de l'Argens et des Côtiers de l'Estérel. Ce PAPI prévoit 75 millions d’euros de travaux pour réduire les risques d’inondation. Il contient aussi une fiche action sur les drones », explique Claire Scarcériaux, chargée de mission au SMA. Ce PAPI, labélisé en 2016, prévoit l’acquisition et l’utilisation de drones, pour la « surveillance des crues par matériel téléguidé » (action 17 du PAPI).

 

Deux drones achetés par le Syndicat Mixte de l’Argens

Un an plus tard, les deux appareils sont intégrés à la boite à outils du syndicat. Ils sont utilisés en période de routine et en période de crue. En routine, c’est le technicien de rivière du SMA qui s’en sert pour sa mission d’entretien de la Naturby, quasiment une fois par semaine suivant les conditions météorologiques. « Les drones servent à la connaissance et la compréhension du bassin versant, dont une partie n’est pas accessible à pied », explique la chargée de mission. Ils sont aussi destinés, en période de crise, à faciliter la connaissance de l’aléa, par exemple en filmant les embâcles. A cet égard le baptême du feu, ou plutôt de l’eau, a eu lieu à l’automne 2018. Suite à des pluies intenses, les deux agents sont allés filmer la crue de l’Argens en basse vallée avec le drone étanche. Les images ont fourni une vue globale de la situation, presque en temps réel. Elles ont été utilisées pour communiquer auprès des habitants sur la situation et elles viennent enrichir le référentiel de données sur les inondations de l’Argens.

« Crue de l’Argens au seuil du Béal – 31 octobre 2018 » (crédit SMA)

« Les drones sont assez facile à prendre en main, c’est un outil qu’on rentabilisera assez vite », estime aujourd’hui Claire Scarcériaux. Les deux engins ont coûté 4000 euros, assurance incluse. Le Syndicat prévoit aussi de les utiliser pour communiquer auprès des populations sur l’avancement des travaux de construction d’ouvrages hydrauliques prévus par le PAPI.

Pionnier, le Syndicat Mixte ? « L’utilisation des drones pour filmer des travaux sur les digues est devenue assez classique», constate Jordan Perrin, chargé de mission à France Digues, mais c’est rarement le cas en régie. En général, les images sont fournies par les maîtres d’œuvre des travaux, que cela soit spécifié ou non dans les cahiers des charges, et souvent via des prestataires spécialisés.

Il y a néanmoins plusieurs bémols à l’utilisation des drones : sur certains territoires, le survol des drones est interdit en l’absence d’un protocole particulier, qui doit être établi avec la direction de l’aviation civile (DGAC). Ainsi pour une partie du bassin versant de l’Argens, un protocole a été signé, qui permet aux pilotes du SMA de voler dans la zone réglementée, dès lors qu’ils préviennent cinq jours avant le vol la direction de l’aviation civile. Autre précaution, l’activité de télépilote professionnel nécessite de suivre une formation et d’obtenir un certificat d’aptitude après un examen organisé par la DGAC. Les agents du SMA eux, avaient obtenu le permis ULM théorique, qui était prescrit avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Enfin, la météo doit être favorable avec une force de vent raisonnable : impossible de voler si le mistral est trop fort.

 

La photogrammétrie pour des relevés 3D

Les drones peuvent aussi servir, en alternative aux hélicoptères ou aux ULM, pour effectuer des relevés topographiques sur des systèmes d’endiguement, grâce à des caméras embarquées. C’est ce qu’expérimente, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), sur ses ouvrages au bord du Rhône.

« Nous avons commencé des relevés topographiques avec des drones pour suivre la crête des digues, il y a une dizaine d’années », explique Gilles Pierrefeu, Expert Mesures et Outils Métiers au Pôle Innovation, Performance, Sciences des Datas de CNR. En partenariat avec l’IGN et l’école topographique, des relevés ont été effectués par photogrammétrie, une technique qui permet de calculer un modèle numérique 3D de l’ouvrage, à partir d’une série d’images photographiques aériennes. L’objectif était de faire des relevés à grande échelle, plus rapidement que par un relevé terrestre (par mire) et avec un moindre coût que par avion ou ULM.

« En 2015, à l’issue d’une première thèse sur le sujet, nous savions mesurer la crête de la digue avec une précision de 5 cm, avec quelques repères au sol. Une deuxième thèse est en cours, avec l’objectif d’atteindre une précision centimétrique avec un minimum de repères terrestres, pas plus d’un repère au sol tous les 500 ou 600 m», ajoute Gilles Pierrefeu. Autrement dit, la CNR n’est pas encore passée en phase opérationnelle. En l’état, moins d’une dizaine de km de digues CNR ont été relevés par drone en photogrammétrie.

Aujourd‘hui, les 400 km de digues de la CNR sont surveillés par inspection visuelle. La photogrammétrie par drones sera aussi utile pour ausculter les secteurs les plus sensibles, en complément de ces inspections. « La surveillance par l’image, avec pourquoi pas des analyses automatiques, pourrait permettre de détecter plus tôt un signe avant-coureur de dégradation », avance Gilles Pierrefeu. Mais attention, s’il s’agit d’effectuer des survols sur des tronçons de plus d’un km, « un porteur de type ULM est probablement plus adapté », estime-t-il, pour des raisons de coût et d’autonomie de batterie, néanmoins l’utilisation de drone à moteur thermique ou l’évolution des batteries laissent penser que les problèmes d’autonomie vont disparaitre avec le temps…  A noter que pour ces auscultations, la CNR teste aussi des prises de photos par bateau. Autrement dit, le drone est un engin porteur parmi d’autres.

 

Les drones auscultent les enrochements

« Des dronistes qui savent faire voler correctement leurs engins pour faire des relevés, on les compte sur les doigts de la main », avertit Gilles Pierrefeu. La photogrammétrie par drones est proposée par des sociétés spécialisées, bureaux d’études ou entreprises de topographie, à l’instar de SINTEGRA, basée dans l’Isère et de Créocéan, un bureau d’études basé à La Rochelle. « Notre cellule aménagement littoral fait de la prestation de définition d’ouvrages et de l’auscultation d’ouvrages », explique Alain Juif, Responsable cartographie à Créocéan. L’entreprise s’est équipée de deux drones depuis 2014, un quadricoptère puis un octocoptère (huit moteurs) équipé de caméras Reflex. La photogrammétrie par drones est utilisée pour ausculter les enrochements. « Elle permet rapidement de voir les enrochements qui ont bougé et les affaissements des digues, suite à une tempête », explique Alain Juif. Créocéan effectue une dizaine de missions par an pour des gestionnaires de digues littorales. Outre l’auscultation d’ouvrages, ces missions permettent aussi d’effectuer des relevés de plages et de trait de côte pour les études d’érosion et de submersion, ainsi que des inventaires naturels (estran, marais…) « Entre 2 et 3 jours de travail suffisent pour le survol et le traitement des données», estime Alain Juif. A titre d’exemple, il cite la digue de Cargèse en Corse, soit 500 m linéaires, qui a nécessité une demi-journée de survol et un jour de traitement pour obtenir un modèle calibré (Ortho-mosaïque, MNS, plan topographique, MNT, etc.).

Reste que la photogrammétrie, si elle se prête bien aux enrochements et aux crêtes des digues CNR, dénuées d’arbres, n’est pas efficace dès lors qu’il y a une présence d’arbres ou d’arbustes, ceux-ci brouillant la précision des images. « Pour une auscultation avec de la végétation, il faut un LIDAR (qui utilise des ondes laser pour calculer les distances et/ou détecter des objets, NDLR)», estime Alain Juif. Sauf que les LIDAR, pour être portés sur un drone, demandent une légèreté, et donc une miniaturisation, au coût pour l’instant prohibitif. C’est une limitation que le projet DIDRO pourrait dépasser.

 

DIDRO embarque des capteurs

A son lancement en mai 2015, le projet DIDRO (DIgues par DROnes) visait à développer « une solution commerciale de surveillance, de reconnaissance et d’auscultation par drones des digues maritimes, fluviales ou le long de canaux » selon le communiqué de lancement. Bientôt 3 ans plus tard, l’objectif reste le même, mais RedBird, le pilote du projet a  été remplacé par Geomatys, une société spécialisée dans le traitement de l’information spatialisée. « L’idée du projet est de proposer un jeu d’outils qui combine du LIDAR, de la photogrammétrie, caméra thermique et proche infrarouge pour être adapté aux situations d’urgence et en routine », explique David Boggio, chef de projets chez Geomatys. DIDRO devrait déboucher sur un prototype combinant deux drones (un drone de type avion, pour du diagnostic rapide et la gestion en crue, et un drone hélicoptère, destiné aux missions d’inspection approfondie),  fournis par Survey Copter (filiale d’Airbus) et une instrumentation calibrée. Ce prototype permettra des vols sous un vent pouvant atteindre 60 km/h. Il sera accompagné d’une méthodologie, de type manuel opérationnel, précisant les cas d’usage. Le modèle commercial, encore confidentiel, devrait lui être prêt l’automne 2019. Mais l’avancement de DIDRO devrait être présenté lors du colloque Digues, à Aix-en-Provence, en mars 2019.

 

Thibault LESCUYER, pour France Digues.

 

Pour creuser :

http://syndicatargens.fr/2018/12/17/utilisation-du-drone-lors-de-lexercice-de-crise-inondation-du-27-novembre-2018/

https://www.irstea.fr/fr/toutes-les-actualites/eaux/digues-protection-inondations-surveillance-drones#projet%20FUI

Principaux partenaires du consortium DIDRO :

Projet FUI piloté par les PME Geomatys et Survey Copter. Partenaires du projet : IFSTTAR, IGN, IRSTEA (Aix-en-Provence et Montpellier), CEREMA, Entente Valabre, Atechsys Engineering, BPI France, Région PACA, Département de la Drôme, France Digues, DREAL Centre, SAFE Cluster.

Thibault LESCUYER pour France Digues

Contributeur

Jordan PERRIN

Retour à la liste

Commenter

S'inscrire ou se connecter pour laisser un commentaire.

0 commentaires

Haut de page