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Auscultation des digues : de quoi parle-t-on ? (MàJ 12/07/2023)

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illustration Auscultation des digues : de quoi parle-t-on ? (MàJ 12/07/2023)

Relu et mis à jour le : 12/07/2023

Auscultation, reconnaissance, surveillance, « monitoring ». Tentative de clarification sur ces concepts voisins.

Ausculter une digue, l’expression revient souvent chez les gestionnaires de digues, mais que veut-elle dire ? La signification peut varier suivant l’interlocuteur. « Le terme auscultation est un terme très large, qui peut désigner dans le langage courant des gestionnaires, des reconnaissances ponctuelles à base de géotechnique, mais aussi des campagnes géophysiques à grand rendement, ou encore un mix de techniques géophysiques et géotechniques et bien entendu des visites techniques à pied » explique Édouard Durand, expert Géotechnique et Risques Naturels et directeur adjoint de l’agence de Blois au Cerema. On parle aussi d’auscultation pour des campagnes topographiques récurrentes, par Lidar ou photogrammétrie, qui peuvent signaler des différences morphologiques (1).

Mais attention, cette compréhension vaste du terme n’est pas tout à fait conforme à la définition scientifique du terme, que l’on trouve dans le dictionnaire de référence de la Commission Internationale Des Grands Barrages (CIGB). L’auscultation y figure comme la traduction du terme anglais « monitoring » :

Auscultation : « Ensemble des opérations (mesures, traitement des lectures, analyse, interprétation) ayant pour objet de mesurer, avec le maximum de précision, les divers paramètres de comportement d’un ouvrage, de sa fondation et du terrain à proximité, et d’évaluer le comportement et la sécurité de l’ouvrage ».

 

Dans cette logique, l’auscultation relève de la surveillance des ouvrages. Le terme d’auscultation ne devrait pas être employé pour des opérations ponctuelles explique Rémy Tourment, ingénieur spécialiste des Ouvrages Hydrauliques à l’INRAE et chef de mission Digues à l’Unité de recherche RECOVER. Dans le Guide international sur les digues (ILH, chapitre 5), les opérations de mesure ponctuelles sont désignées sous le terme d’ « investigation ».

 

Investigation géotechnique
Des opérations de mesure ponctuelle, les gestionnaires des ouvrages de protection contre les inondations et submersions en effectuent régulièrement. Les plus utilisées relèvent de la géotechnique et sont parfois décrites, à tort comme de l’auscultation.

 

Géotechnique ? Ce domaine de science et d’ingénierie « caractérise les propriétés mécaniques des sols et sous-sols, leur tenue et leur résistance. La géotechnique implique des techniques dites intrusives, prélèvements par carottage, sondages et essais en place », explique Sergio Palma Lopes, chercheur géophysicien à l’Université Gustave Eiffel (ex IFSTTAR). Les calculs des géotechniciens servent à dimensionner les fondations des ouvrages d’art, typiquement des ponts, avant leur construction. La géotechnique vient aussi en appui après construction, pour vérifier la solidité et l’état des fondations.

Campagne géotechnique sur la digue de Pourville (crédit : SBVSVS)

 

Pour les digues, ce type d’investigation est souvent réalisé dans le cadre des études de dangers (EDD) qui permettent aux gestionnaires de systèmes d’endiguement de préciser l’état de santé des ouvrages qu’ils peuvent être amenés à entretenir. C’est notamment le cas sur les digues littorales, pour identifier des fragilités, causes potentielles de rupture.

 

En janvier 2023 par exemple, les digues du Bessin, dans le Calvados, étaient « auscultées pour mieux résister aux assauts de la mer », comme l’a décrit le quotidien Ouest France, en utilisant à tort le terme d’auscultation.  « On fait des carottages pour mesurer la compacité et la perméabilité de la digue », expliquait alors le responsable Gemapi du syndicat Ter’Bessin. 

 

Ces investigations géotechniques peuvent dévoiler des mauvaises surprises : en 2021, la communauté d’agglomération du Cotentin a ainsi découvert que plusieurs centaines de mètres de la digue de Saint-Vaast-la-Hougue, qu’elle venait de reprendre en gestion, étaient en partie creuses. La géotechnique induit alors des travaux de confortement.

 

Géophysique de subsurface

L’auscultation est donc un terme polysémique, prêtant à confusion. Pour Edouard Durand du Cerema, intuitivement le terme désignerait plutôt des investigations géophysiques et donc des méthodes « indirectes », non destructives (ces dernières ne pouvant pas, par essence, être répétées car elles détruisent l’échantillon). « La géophysique est un domaine extrêmement vaste, où des appareils en surface font interagir des champs physiques avec la matière, typiquement pour ausculter le sol entre zéro et 100 mètres de profondeur », ajoute Sergio Palma Lopes. Là aussi, « sauf s’il y a des campagnes répétées de géophysique pour suivre une évolution, on ne peut pas parler d’auscultation, mais d’investigation », estime Rémy Tourment.

 

De nombreuses méthodes géophysiques robustes d’un point de vue technologique, peuvent être mobilisées : inspections sismiques, acoustiques, électromagnétiques... Au lieu de prélever un échantillon de l’ouvrage ou de sa fondation et donc de toucher potentiellement à son intégrité, ces méthodes injecteront une onde sismique ou un courant électrique dans le sol, pour en enregistrer la réponse. « Le géophysicien s’attache à interpréter la meilleure réponse qui correspond au signal reçu », explique Édouard Durand. 

 

Exemple de résultats de campagne géophysique (méthode électrique)
réalisée sur une digue (crédit Cerema - Interreg Polder2C's)

 

Reconnaissance à grand rendement
Appliqué aux systèmes d’endiguement, ce type d’investigation peut être conduit dans le cadre d’une campagne géophysique ponctuelle dite « à grand rendement », c’est-à-dire réalisée sur un linéaire de plusieurs kilomètres. « La géophysique donne une première image du linéaire et permet d’identifier des anomalies par rapport aux propriétés du sol, des anomalies d’homogénéité de matériaux ou des cavités », explique Édouard Durand. La géophysique peut ainsi renseigner sur un événement historique, par exemple une rupture de digue (brèche) dont on a perdu la trace dans les archives écrites et qui a été réparée avec un matériau différent, dont la signature géophysique diffère du reste de la digue. Ces campagnes précèdent le plus souvent les investigations géotechniques, plus localisées et plus coûteuses. Géophysique et géotechnique sont des techniques complémentaires.

Crédit : Université Gustave Eiffel / ERINOH

 

Equipements fixes d’auscultation

Le terme d’auscultation devrait donc être réservé, d’après la CIGB, à la surveillance régulière, voir permanente, d’un ouvrage. Comme celle qui est mise en œuvre sur les barrages.  « Les grands barrages et quelques digues en charge permanente sont instrumentés avec des nouveaux dispositifs d’auscultation à base de fibre optique », remarque à cet égard Edouard Durand. En mesurant la température en différent points de l’ouvrage, la fibre optique permet de détecter des infiltrations d’eau, car celles-ci entraînent des variations de température.

C’est depuis plus de 10 ans que ces nouveaux dispositifs d’auscultation sont déployés sur des ouvrages dits à charge constante : barrages et parfois aussi digues de canaux, en particulier par EDF en partenariat avec GeophyConsult. Ils complètent les systèmes d’auscultation plus classiques (générale et topographique) que la réglementation prescrit sur ces ouvrages hydrauliques. Depuis peu, ils sont aussi expérimentés sur des digues fluviales. 

 

Sur le Rhône, un tronçon de digue fluviale entre Beaucaire et Fourques a ainsi été équipé d’un câble à fibres optiques, installé contre le talus aval de l’ouvrage, sur un géotextile et sous le matériau drainant. Cette installation par GeophyConsult en 2018, pour le compte du Symadrem, fait suite à une première installation effectuée sur une digue du Rhin canalisé, pour le compte de VNF, en 2014.

Dans le projet rhodanien, l’instrumentation permet de mesurer à fréquence horaire la température de 14 000 points, répartis tous les mètres du linéaire. Objectif : « détecter rapidement de faibles variations de températures, témoins d’éventuelles infiltrations d’eau dans la digue », explique le Symadrem sur son site web. En période de crue, ce dispositif pourrait « faciliter la détection précoce des fuites potentielles évolutives (….), le repérage des signes précurseurs de défaillance potentielle de l’ensemble filtre-drain et la localisation précise de la position de ces fuites ou de la défaillance sur le linéaire ausculté » précise Séverine Chardès, Cheffe de service exploitation et sûreté au Symadrem. Le système, qui a été testé en janvier 2023, reste coûteux, et peu généralisable sur les autres digues fluviales. 

 

Installation de capteurs sismiques à Moutiers-en-Retz (crédit : Calligée)

 

Auscultation sismique

Ce type de surveillance en continu est aussi expérimenté sur des digues littorales, dans le cadre du projet de recherche SEeWALL conduit par le bureau d’études Calligée, en partenariat avec le laboratoire de recherche GeoEND de l’université Gustave Eiffel et la société Sercel. Après des premiers tests à Moutiers-en-Retz et sur sept autres ouvrages de la région, depuis février 2022 les chercheurs auscultent un tronçon de 300 m de digue situé sur l’île de Noirmoutier.  Plusieurs dispositifs ont été installés in situ : des géophones sismiques filaires, deux systèmes de fibre optique, une ligne de tomographie de résistivité électrique ainsi que des capteurs environnementaux (piézomètre, sondes de conductivité, station météo…). Tout cela procure « une quantité astronomique de données », remarque Christophe Boulay, ‎ingénieur géophysicien au bureau d’étude Calligée. Un des objectifs est de développer un logiciel de traitement automatisé des données, permettant de détecter des faiblesses à partir des évolutions des signaux captés. Les porteurs du projet aimeraient disposer d’ici 4 ou 5 ans d’une solution commerciale, permettant d’ausculter à une fréquence élevée des linéaires à forts enjeux.

 

En résumé, le terme d’auscultation fait l’objet d’une définition précise dans le dictionnaire de la Commission Internationale Des Grands Barrages (CIGB), où il désigne des opérations de mesure récurrentes sur un ouvrage hydraulique. S’il s’agit de mesures ponctuelles, il conviendrait de privilégier le terme d’investigation, d’après le guide international des digues ILH. Indépendamment des termes, la surveillance des digues mobilise une panoplie riche et variée de techniques et d’instrumentations, au sein desquelles les méthodes géotechniques et géophysiques sont complémentaires.

 

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 (1)  Pour ce dernier usage du terme, voir notre article sur les campagnes de relevés topographiques par drone.

Contributeur

thibault lescuyer

Structure

test asso

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