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Digues traitées à la chaux : les voyants sont au vert
Article de journal

Après plus de 15 ans de travaux scientifiques, le traitement à la chaux des digues en terre est reconnu fiable contre certains risques d’érosion, pour les ouvrages fluviaux. Le procédé peut constituer une alternative solide aux enrochements. Il ne manque plus qu’une mise en œuvre opérationnelle.
«Nous disposons de plus de 15 ans de recul. Le traitement à la chaux est désormais une solution fiable de plus pour renforcer un ouvrage hydraulique en terre contre les deux principaux risques d’érosion, érosion interne et érosion de surface » explique Stéphane Bonelli, directeur de recherche à l’unité mixte (INRAE Aix-Marseille université) RECOVER. Plus de quinze « vraies années » d’expérimentations et de recherche, pendant lesquelles les chercheurs du Groupe Lhoist, du Cerema et de l’INRAE ont étudié la robustesse d’ouvrages de prévention des inondations (digues remblais) traités à la chaux. Traitement à la chaux ? Les mélanges sol-chaux sont bien connus des professionnels du terrassement, mais ils restent à ce jour peu utilisés sur des ouvrages de prévention des inondations. Cette situation pourrait changer à court terme, car les recommandations des chercheurs intéressent des gestionnaires d’ouvrage.
Démonstrations faites
10 ans de recherche à l’INRAE et 15 ans en comptant les travaux conduits par le Groupe Lhoist et le Cerema. C’est en 2011 à Rouen, que deux premières digues expérimentales ont été construites, l’une traitée à la chaux vive à 2,5% et l’autre en limon non traité, afin d’effectuer des essais comparatifs d’étanchéité, de résistance à l’érosion et de comportement dans le temps. Ce fut une « grande avancée », raconte l’une des chevilles ouvrières de cette expérimentation, Daniel Puiatti. A l’époque, l’ingénieur spécialiste de la chaux travaillait pour le Groupe Lhoist, l’un des principaux fabricants de chaux en Europe. Il fait aujourd’hui partie des ardents promoteurs de la transposition du procédé aux digues fluviales.
Démonstrateur en sol traité à 2,5 % de chaux à Rouen (2015)
Photo Yvon Durieux (Lhoist)
Dans la foulée de ces premiers travaux à Rouen, des chercheurs de l’INRAE (alors Irstea), en particulier Stéphane Bonelli se sont intéressés au procédé. C’est ainsi que le projet DigueELITE (2013 - 2017) est né. Un démonstrateur au bord du Vidourle gardois a été installé, grâce à la participation de l’établissement public territorial du bassin (EPTB) Vidourle. Une marche supplémentaire a alors été franchie : Les résultats officiels de DigueELITE font état d’« une résistance à l’érosion par surverse du sol-chaux 5 à 10 fois plus élevée que le même sol non traité, le contraste le plus important étant mesuré aux points sensibles de la digue (crête et pied de talus) » (note 1).
Intéressé par le procédé en alternative à des enrochements, le syndicat mixte en charge de l’aménagement des digues du Rhône aval, le Symadrem s’est aussi associé à l’INRAE et au Centre d’Ingénierie Hydraulique d’EDF, pour la réalisation d’un plot d’essai grandeur nature situé à Salin de Giraud, à partir de 2017. Un démonstrateur constitué de plots traités et non traités à la chaux a été installée en bord de Rhône, permettant de réaliser des tests comparatifs, en particulier d’érosion par surverse. Là aussi, avec des résultats concluants. Parallèlement, en Belgique et aux Pays-Bas, Lhoist développait des démonstrateurs sous la supervision des autorités locales… Certains de ces essais ont aussi permis d’observer l’incidence des conditions météorologiques extrêmes, alternances d’épisode de pluies et de sécheresse, avec des résultats positifs. Côté recherche « on a fait l’essentiel du job », résume Stéphane Bonelli.
Essai de surverse sur un plot d’essai à Salin de Giraud -
digue traitée à la chaux (Symadrem et al., 2018)
Déconstruire un préjugé
Sur cette route faite d’expérimentations et de tests comparatifs, les acteurs concernés ont tout de même eu un obstacle à surmonter, culturel. Il leur a fallu déconstruire le préjugé défavorable contre le mélange sol-chaux appliqué aux ouvrages hydrauliques. «Les gens qui connaissent le mélange sol-chaux savent qu’il sert à diminuer la teneur en eau d’un sol, car c’est son utilisation la plus courante pour des terrassements routiers. Là où ils se trompent, c’est qu’ils pensent que cela ne sert à rien d’autre ! », explique Daniel Puiatti (note 2). Thibaut Mallet, le directeur général du Symadrem, observe les mêmes préjugés. « Au début des années 2000, le traitement à la chaux des sols était même proscrit dans les CCTP pour les barrages et les digues sous prétexte qu’il augmentait la perméabilité des sols. Mais c’était une crainte non justifiée ! », explique-t-il. «Certes il y peut y avoir une légère augmentation de la perméabilité, mais celle-ci n’est pas forcément gênante ». Ce risque est d’ailleurs écarté, ajoute Daniel Puiatti, si on respecte certaines préconisations de mise en oeuvre : compactage du côté humide du Proctor à l’aide d’un rouleau à pieds dameurs.
Essais de surverse, démonstrateur DigueElite du Vidourle (2015) - Photo Gontran Herrier
Valeur ajoutée
En clair, les travaux de recherche ont permis de valider le principal intérêt du traitement à la chaux pour des digues fluviales, quand elles sont composées de terre limono-argileuse. Le mélange sol-chaux peut alors protéger ces digues contre des risque d’érosion et de cassure (brèche), en particulier en situation de surverse. Cette protection peut être pertinente pour des digues-remblais situées en plaine. Elle privilégie des matériaux locaux contrairement aux enrochements ou aux gabions. Il s’agit d’une alternative techniquement assez simple, , pour des ouvrages nouveaux ou à conforter soumis à des enjeux et sollicitations modérés. Le procédé est aussi utile pour protéger un ouvrage contre les animaux fouisseurs.
Epandage de la chaux pour le démonstrateur Symadrem de Salin de Giraud (2017)
Photo Michel Froumentin (Lhoist)
Impact environnemental
Intéressant techniquement, le matériau sol chaux est-il pertinent d’un point de vue environnemental ? Le procédé a l’avantage de valoriser des matériaux locaux (sols fins limono-argileux), répondent ses promoteurs. Et cet avantage est d’autant plus fort si l’autre solution envisagée est un renforcement par des enrochements dont la provenance est lointaine et qui sont acheminés par camions à moteur thermique. Pour autant, les traitements à la chaux sont émissifs en CO2, ce qui pourrait être un point faible. Oui, mais «des études comparatives réalisées sur la durée de vie de l’ouvrage montrent des situations d’égalité en émissions de CO2 », indique Daniel Puiatti. Les émissions CO2 sont à quantifier au cas par cas sous un angle comparatif.
Autre élément à prendre en compte, l’impact de la chaux sur le pH des sols riverains et dans l’eau en situation de crue voire de brèche. Plusieurs projets, (DigueElite, Sotredi en Belgique…) ont étudié ce point et font état d’impacts très limités, qui ne remettent pas en question l’intérêt du procédé. Ainsi, l’augmentation du pH des couches de sol non traité voisin serait «limitée à une zone de quelques centimètres (zone tampon) ; les massifs non traités avoisinants ne sont donc pas atteints par une augmentation du pH », d’après des essais en vraie grandeur (Nerincx et al., 2019). DigueElite a aussi montré que l’impact d’une éventuelle dispersion de chaux dans l’environnement suite à une brèche « est modeste, et que les concentrations en chaux libérées restent largement inférieures aux seuils de toxicité ». De quoi rassurer sur ce volet du pH.
Expérience pionnière
En France, le Symadrem est l’institution gémapienne la plus avancée pour concrétiser l’utilisation du procédé pour la prévention des inondations. Fort de plusieurs années de réflexions et des essais conduits avec l’INRAE, le DG du syndicat mixte Thibaut Mallet envisage officiellement une application en conditions réelles. Le lieu candidat est la commune de Salin-de-Giraud, en alternative à des enrochements en bord du Rhône.
Situé à l’aval du grand fleuve, Salin-de-Giraud est actuellement concernée par un projet décidé dans le cadre du Plan Rhône, de « renforcement des digues du Grand Rhône aval ». Or ce projet intègre le déplacement et la reconstruction d’une digue, dont la configuration se prête bien à un mélange sol-chaux, d’après le Symadrem.
Précisément, une digue résistante à la surverse devrait être érigée en remplacement et en recul de la digue existante. « Il s’agit d’une digue de 3 kilomètres de long, d’une hauteur de 1,5 mètre. Elle se situe à l’aval des enjeux principaux de la commune. Il s’agit d’un ouvrage de faible hauteur qui permettra de maîtriser le risque en cas de surverse» détaille Thibaut Mallet. En outre, la digue supportera la route actuelle… Or le traitement à la chaux renforce la portance d’un sol.
Si cette configuration semble donc assez favorable pour une expérience pionnière en traitement sol-chaux, rien n’est décidé à ce stade. « Dans l’appel d’offre nous laisserons les deux options ouvertes : solution classique avec enrochements et solution traitée à la chaux. Si la chaux est moins chère que les enrochements, on ira vers la chaux », ajoute le DG du Symadrem. Les travaux pourraient alors débuter en 2027.
Etude au cas par cas
Que ce soit en bord de Rhône ou d’autres cours d’eau, la pertinence d’un traitement à la chaux doit s’étudier au cas par cas, soulignent Stéphane Bonelli et Daniel Puiatti. Une étude spécifique ancrée dans la réalité géologique et hydrologique locale est nécessaire. Autre élément à prendre en compte, les impacts environnementaux comparés entre les différentes solutions (enrochement vs chaux notamment). Sur le volet études, la bonne nouvelle est que les bureaux d’études et les maîtres d’ouvrages peuvent s’appuyer sur des documents guide détaillés.
Guides techniques
Les bureaux d’étude ne sont pas livrés à eux même. Plusieurs documents guide ont été publiés récemment, pour les accompagner. « Le plus intéressant pour les acteurs opérationnels et les maîtres d’ouvrage, c’est le livret 2 issu du projet DigueELITE », conseille Daniel Puiatti. Finalisé en 2025, il décrit des règles pratiques détaillées ainsi que des éléments techniques et méthodologiques pour la réalisation des chantiers.
Ce document de 135 pages complète un document datant de 2022, le bulletin 195 édité par la Commission internationale des grands barrages (CIGB). Celui-là apporte une légitimité forte au procédé : la CIGB est une institution internationale de référence dans le monde des ouvrages hydrauliques.
Enfin, un Guide Technique portant sur la définition des études et la prescription des travaux dont la rédaction a été confiée par le CFBR, autre institution nationale de référence, à un groupe d’experts spécialisés, est en cours d’achèvement.
Voilà qui devrait mettre définitivement « KO » les préjugés contre le sol chaux.
Le procédé sol-chaux et les documents opérationnels feront l’objet d’une présentation (web'tech) organisée par France Digues, à l’automne 2025. Début septembre, il restait encore des places. Si intéressés, ne pas hésiter à s’inscrire !
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Note 1 : Nerincx, N., Bonelli, S., Herrier, G., Tachker, P., Puiatti, D., Cornacchioli, F., ... & Lesueur, D. Digues résistantes en sol traité à la chaux: les apports du projet DigueELITE et les conséquences sur la conception DigueELITE project: lessons learned from the project and impact on the design of dikes with lime treated soils. Digues maritimes et fluviales de protection contre les inondations.
Note 2 : Les effets de la chaux sont bien connus et référencés de par l’expérience “routière” : portance immédiate améliorée, augmentation progressive des performances mécaniques, stabilité des ouvrages, réduction des risques de retrait gonflement, etc. (source : séminaire ASYBA – AREAS – CEREMA mars 2014) - https://www.areas-asso.fr/wp-content/uploads/2021/08/3chaux-en-oh-76-140319-propr-sols-chaux-g-herrier-300ppp.pdf
Pour approfondir :
Présentation des résultats des essais à Salin de Giraud :
https://www.barrages-cfbr.eu/IMG/pdf/marseille_atelierct_p_25_-_cmd_workshop_-_csd_-_salin_de_giraud_-_t._mallet_-_220528.pdf
Présentation du bulletin 195 de la CIGB :
https://www.researchgate.net/publication/379312914_Barrages_en_Sol_Cimente_presentation_du_nouveau_Bulletin_195_de_la_CIGB
Livret 2 Diguelite :
https://partage.france-digues.fr/index.php/s/W38nBxn5aA7Q6x9
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